Ordinateurs quantiques : comment gérer la dissipation de chaleur ?

La dissipation de chaleur dans les ordinateurs quantiques risque de grandement en perturber le fonctionnement. Cet aspect, souvent négligé par les scientifiques, vient d’être étudié par Clemens Winkelmann, maître de conférences à Grenoble INP – Phelma, UGA, au sein de l’Institut Néel*, dans deux articles récemment publiés.

C’est bien connu, chaleur et ordinateur ne font pas bon ménage. Si la chaleur est une conséquence inévitable du fonctionnement d’un processeur, une chaleur excessive risque d’entraver les performances des composants et limite les vitesses de calcul. Dans les futurs ordinateurs quantiques, le problème sera d’autant plus vif que ces appareils fonctionnent à des températures proches du zéro absolu (-273,14°C), avec des unités de calcul de très petite taille, et seront donc d’autant plus sensibles à la chaleur. Cet aspect souvent négligé par les recherches, a été étudié par Clemens Winkelmann, maître de conférences à Grenoble INP – Phelma, UGA, à l’Institut Néel, dans deux articles publiés dans Nature et Nature Physics.


Cryostat à dilution inversé, utilisé pour les expériences. Cette invention grenobloise peut atteindre des températures de 40 mK La jonction Josephson au cœur du problème

Pour comprendre, il faut savoir que l’élément électronique de base dans l’ordinateur quantique est la jonction Josephson, laquelle est un contact entre deux matériaux supraconducteurs.  La supraconductivité est un état de la matière qui apparaît à des températures proches du zéro absolu, qui fait disparaitre toute résistance. « Lorsque l’on fait passer un courant à l’intérieur d’un supraconducteur, il n’y a aucune perte, aucune dissipation d’énergie, explique Clemens Winkelmann. Dans cet état parfait de la matière, les électrons ne se comportent plus comme des particules individuelles, mais comme un tout. C’est la cohérence quantique. » Dans un supraconducteur, l’état quantique est caractérisé par un angle, appelé phase, qui tourne lorsque l’on fait passer un courant. Dans une jonction Josephson, il existe une différence de phase entre les deux supraconducteurs, laquelle est l’équivalent d’une tension en électronique classique. Pour que la jonction reste cohérente, la phase se « tord », telle un élastique. Dans une unité logique quantique (qBit), la manipulation de cette phase permet de coder l’information.


Rétablir la cohérence quantique

Mais que se passe-t-il quand l’élastique est poussé trop loin et casse ? « Dans ce cas, la cohérence est brisée et la dissipation apparaît, » explique le chercheur qui s’est penché dans un premier article sur la mesure de la chaleur dégagée par un « saut de phase » dans une jonction Josephson. « Mon cheval de bataille, c’est d’attirer l’attention de la communauté scientifique sur le fait que les ordinateurs quantiques vont dissiper de la chaleur, et que cela va vite poser problème. » Avec son équipe, le chercheur s’est arrangé pour que le lien quantique casse, que l’angle de la phase fasse un tour complet et se refige dans une nouvelle position d’équilibre**. Il a ainsi réussi à quantifier la chaleur dégagée lors de cette brève perte de cohérence. Mais il arrive aussi dans certains cas que « l’élastique » casse, et que le système ne revienne pas à sa position d’équilibre et tourne indéfiniment sur lui-même. Dans un second article***, Clemens Winkelmann a étudié les mécanismes de retour à l’état quantique et testé des moyens d’endiguer cet emballement du système en le « frottant » par le jeu de superpositions d’énergies.  

Ces travaux ont en partie été menés sur des équipements de pointe de l’Institut Néel permettant de travailler à très basse température.

*CNRS

Références :
**Calorimetry of a phase slip in a Josephson junction E. Gümüs, D. Majidi, D. Nikolic, P. Raif, B. Karimi, J.T. Peltonen, E. Scheer, J.P. Pekola, H. Courtois, W. Belzig, and C.B. Winkelmann Nature Phys. 19, 196 (2023)
***Diode effect in Josephson junctions with a single magnetic atom M. Trahms, L. Melischek, J. F. Steiner, B. Mahendru, I. Tamir, N. Bogdanoff, O. Peters, G. Reecht, C. B. Winkelmann, F. von Oppen, and K. J. Franke Nature 615, 628 (2023)

Crédits images : Johannes Höfer